Sarcophages de Notre-Dame : à Toulouse les morts révèlent leurs secrets
Sarcophages de Notre-Dame : à Toulouse les morts révèlent leurs secrets
L'un des des "sarcophages" de plomb découverts à Notre-Dame-de-Paris en mars 2022.
L’INRAP a choisi l’équipe CNRS d’Eric Crubézy, professeur d’anthropobiologie à l’Université de Toulouse III, pour étudier les défunts des deux cercueils de plomb découverts lors des fouilles de Notre Dame de Paris.
Référence
Une référence mondiale lorsqu’il s’agit d’interroger les morts pour comprendre le vivant, d’hier et d’aujourd’hui...
Plomb
Plus de 200 kg de plomb l’unité avec une taille hors norme de 1,95 m, vendredi 9 décembre 2022 au matin, deux lourds cercueils à silhouette humaine sont convoyés du laboratoire du CHU de Toulouse aux Allées Jules-Guesdes, pour une exceptionnelle présentation à la faculté de médecine de la Ville Rose.
Archéologues
Mis au jour en mars dernier par les archéologues de l’Inrap lors de la fouille de la croisée du transept de Notre Dame de Paris, ces deux "sarcophages anthropomorphes", ont, en effet, été ouverts fin novembre 2022 à l’Institut médico-légal du professeur Norbert Talmon, médecin légiste et spécialiste de l’anthropologie d’identification, et leur contenu "ausculté" avec l’équipe du professeur Éric Crubézy.
Mystère
Vendredi 9 décembre 2022 après-midi, une partie du mystère est donc officiellement levée, lors d’une conférence de presse, concernant les deux mystérieux défunts dont le rang était a priori élevé pour avoir pu bénéficier d’une telle sépulture, au plus près du "saint des saints" de la cathédrale.
Noblesse
Qui étaient-ils ? Haute noblesse, haut clergé… Qui étaient-ils ? Vivaient-ils effectivement au XIVe siècle, si l’on se fie aux tessons retrouvés à proximité ?
Place
Et si oui, quelle place pouvaient-ils occuper dans un monde qui connaissait les ravages de la peste et de la guerre de Cent Ans ?
Questions
Depuis bientôt neuf mois, ce sont là quelques-unes des questions que se posent archéologues et anthropologues.
Identification
Mais au-delà de cette éventuelle identification, c’est le quotidien que ces dépouilles pourront raconter de leur époque qui passionne les scientifiques.
Eric Crubézy
Raison pour laquelle ces morts ont donc été confiés aux bons soins de l’équipe d’Eric Crubézy.
Archéologue
"Occitan né à Dunkerque", archéologue de vocation, médecin de formation et pionnier de l’anthropologie moléculaire, il est en effet l’un des premiers en France à avoir fait "parler" l’ADN ancien et la mémoire des isotopes…
Toulouse
"Tout a débuté, ici, à Toulouse avec le comte de l’An Mil", sourit alors ce dernier dans son bureau de la faculté.
Restauration
C’était en 1989 au détour d’une restauration de la basilique Saint-Sernin, "le sarcophage attribué à Guillaume Taillefer fut déposé", se souvient-il. Mais le fameux comte de Toulouse, mort en 1037, était-il bien à l’intérieur ?
Question
La question à laquelle il allait tenter de répondre avec son équipe, face aux restes d’un gaillard de près de 1,90 m dont la sépulture avait aussi servi de dépôt pour d’autres ossements, brûlés, et même des gravats d’enduits peints médiévaux.
Collectés
Os, dents, ongles, cheveux, tissus, bactéries, pollens, insectes collectés et analysés… L’enquête archéologique et anthropologique identifia un homme a priori mort d’une tumeur cérébrale, mais démontra qu’il ne pouvait s’agir de Guillaume III, pour autant, l’essentiel était ailleurs, en l’occurrence.
Comte
Plus qu’un illustre comte, "ce sarcophage recelait toute l’histoire de Saint-Sernin et l’importance des données biologiques et culturelles collectées, la quantité de données recueillies, permettait aussi d’éclairer l’histoire d’une période méconnue du haut Moyen-âge".
Dynasties
"L’époque où se constituent les grandes dynasties féodales", rappelle Eric Crubézy, dont la feuille de route va dès lors progressivement s’élargir au monde.
Morts
Car "les morts nous permettent de comprendre le vivant", poursuit-il. Universellement. L’homme étant le seul animal à avoir conscience de la mort, le seul à posséder des rites funéraires différentes sertes mais répondant toujours à trois étapes identiques, "voir, cacher et sacraliser".
Étudier
"Comment le biologique humain renseigne sur le passé et comment, connaissant ce passé, on peut étudier la variabilité humaine à travers l’espace et le temps", précise le chercheur...
Fouilles
Des fouilles de terrain au laboratoire toulousain où se précisent génétique et génomique pour une cartographie toujours plus pointue des évolutions, des migrations, des épidémies.
Histoire
C’est, de fait, l’histoire de l’humanité que l’anthropobiologiste et son équipe approfondissent depuis plus de 30 ans "en croisant les disciplines scientifiques".
Connaissances
Des Pyrénées à la Sibérie orientale, en passant par la Mongolie, l’ Égypte, Madagascar ou l’Amérique du Sud, morts et rites funéraires font alors surgir de l’enfoui et des cendres de nouvelles connaissances.
Tintin
Hache éthiopienne, statuette funéraire kali, bibliothèque où les plus grands médiévistes côtoient sa passion de Tintin "archéologue" des Cigares du Pharaon au Temple du Soleil…
Expéditions
Le bureau d’Éric Crubézy raconte ce faisant autant les expéditions lointaines que l’insatiable curiosité du premier titulaire de la chaire d’anthropologie de Toulouse, en 1997.
Corps
"Mais c’est vrai aussi qu’en travaillant sur les corps gelés de Sibérie et de Mongolie, je suis devenu avec Sylvie Duchesne (anthropologue toulousaine de l’Inrap Occitanie ouest,) un spécialiste des corps bien conservés", précise-t-il. Façon après ces détours de revenir à Notre Dame de Paris.
Louise de Quengo
En passant par 2017 et leur précédente communication de référence, la fouille d’un autre cercueil de plomb, "celui de Louise de Quengo, une noble Bretonne du XVIIe siècle, en excellent état de conservation, recherche que j’ai dirigée avec Rozenn Colleter et Daniel Pichot."
Ouvrage
Un ouvrage de 208 pages pour raconter et décrire "Le Comte de l’An Mil", plus de 360 pour Louis de Quengo, "l’une des grandes aventures de l’archéologie contemporaine"…
Inconnus
Descendus de la capitale à Toulouse, les deux inconnus de Notre Dame de Paris se retrouvent alors à la croisée des meilleures expertises sur l’époque médiévale et la singulière spécificité du cercueil de plomb, permettant une meilleure préservation du défunt.
Cercueil
Pourquoi, un cercueil de plomb, d’ailleurs, alors que la Bible dit au croyant qu’il est poussière et qu’il retournera à la poussière ?
Chrétienté
Au début de la chrétienté, le mort dans son drap est un "dormeur" en attente de la résurrection générale, avec tous les autres morts", rappelle-t-il. Puis montent en puissance le paradis et l’enfer, l’individualisation de la récompense ou du châtiment, "avec l’invention du purgatoire entre les deux, au XIIe/XIIIe siècle", poursuit-il.
Christ
À l’instar de la mandorle, cette gloire en forme d’ovale entourant le Christ, le cercueil en plomb avec sa promesse d’éternité devient sans doute aussi pour le mort une façon symbolique de se placer dans le corps du Christ.
Précautions
Ouverture faite avec précautions… Qui es-tu, homme ou femme ? Quel âge avais-tu ? Comment es-tu mort ?
Questions
Les trois premières questions en substance qu’auront alors posées aux deux défunts parisiens les scientifiques du CHU, du CNRS et de l’Inrap avec pour objectif de "dresser la carte d’identification des sujets".
Imagerie
Imagerie de synthèse, plongée dans l’infiniment petit effectuée par le laboratoire toulousain d’anthropologie moléculaire...
Étude
"Avec l’étude des isotopes du squelette, chez un adulte, on a une idée de ce que les gens ont mangé et où ils ont vécu dans les trois dernières années de leur vie".
Racines
Et quand on regarde leurs racines dentaires, on sait ce qui s’est passé durant leur enfance. On peut donc savoir si un sujet a bougé au cours de sa vie, s’il est né à l’endroit où il a été inhumé ou pas.
Retrouver
Mais on peut retrouver aussi avec la génétique la couleur de ses yeux, de ses cheveux, et suivre ses lignées maternelles et paternelles, ce qui pourra aider à "l’identifier", détaille Eric Crubézy.
Intérêt
Ceci fait, "l’intérêt de l’interdisciplinaire, c’est bien sûr d’essayer de replacer le personnage dans l’histoire du monument, de Notre Dame de Paris, voir ce qu’il nous apprend aussi de l’édifice et essayer également de l’inscrire dans la "grande histoire", poursuit-il.
Restes
Les restes de vêtements les auront aidés à situer le rang, la fonction des morts. Les végétaux à l’intérieur du cercueil, les pratiques funéraires de l’époque.
Bactéries
Les bactéries piégées par les dents, les maladies subies. Des documents historiques les auront peut-être éclairés aussi pour poser un nom…
Scientifiques
Ou pas. Illustre (s) inconnu (s) ou dignitaire (s) célèbre (s), au-delà de la gloire des "people" d’hier et d’aujourd’hui, le but restera surtout pour les scientifiques "de remonter du monde des morts au monde des vivants et à son évolution", conclut l’anthropologue.
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