Faut-il faire revivre les espèces disparues ?

 

Faut-il faire revivre les espèces disparues ?

2000002982373Reconstitution d’un paysage du nord de l’Espagne à la fin de la dernière époque glaciaire avec des mammouths laineux, des chevaux, un rhinocéros laineux et des lions des cavernes.

Depuis quelques années, les scientifiques parviennent à séquencer et à annoter le génome de manière rapide et relativement complète, y compris celui d'espèces disparues depuis des milliers d'années. 

Vie

Faut-il pour autant ramener celles-ci à la vie ? Revoir des mammouths ? Des mammouths, patrouilleront-ils le permafrost sibérien à nouveau ? Pourra-t-on revoir le tigre de Tasmanie ailleurs que dans un Muséum d’histoire naturelle ? Ces questions ne se posent plus uniquement dans des films hollywoodiens à gros budget. 

Ingénierie 

Depuis la montée en puissance d’outils d’ingénierie génétique, en particulier CRISPR-Cas 9, ces « ciseaux » qui coupent et collent des parties d’un génome, ramener des espèces disparues à la vie rentre dans le domaine des possibles. 

Scientifiques

Cette « désextinction » est-elle pour autant une bonne idée ? Les scientifiques sont divisés sur le sujet, revoir ces animaux pourrait éveiller les consciences sur la nécessité de protéger leur habitat. 

Extinction

Pour autant, cela risque aussi d’atténuer la gravité de l’extinction d’une espèce. Lionel Cavin, paléontologue et Nadir Alvarez, généticien, se sont penchés sur la question dans leur livre Faire revivre les espèces disparues ? 

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Lionel Cavin, paléontologue et Nadir Alzarez, généticien, auteurs du livre « Faire revivre les espèces disparues ? » paru aux éditions Favre.

Entretien

Entretien avec Lionel Cavin paléontologue et Nadir Alzarez généticien.

L’un des premiers projets de désextinction entendait remonter l’évolution à l’envers en « réveillant » certains gènes endormis. Comment cela ?

Lionel Cavin / Nadir Alvarez

Toutes les espèces ont des traces de gènes dont l'activité a été rendue silencieuse au cours de l’évolution. 

Par exemple, il y a chez les oiseaux des gènes pour développer des dents ces derniers ont 130 millions d'années, à l’époque où les oiseaux avaient une dentition et côtoyaient les dinosaures.

Partant de ce constat, le paléontologue Jack Horner a tenté de réveiller certains gènes endormis chez un poulet pour créer le tout premier « Chickenosaurus ». Soit un « poulet-dinosaure » carnivore pourvu de dents et d’une longue queue.

Le projet a depuis été abandonné les gènes devenus non-fonctionnels ont enduré de nombreuses mutations après cent millions d'années.

Il y a aussi des obstacles morphologiques : il faudrait modifier le bec pour permettre aux dents de vraiment s’implanter correctement, par exemple.

Néanmoins, l’idée de Horner s’est diffusée dans d’autres groupes de recherche et l’on connaît aujourd’hui les actions génétiques permettant de retransformer le bec d’un embryon de poulet en museau de dinosaure.

Ou bien de reproduire l’anatomie des pattes et des pieds des dinosaures. Cette tentative avait donc un intérêt académique. Pour autant, cette approche de la désextinction n’est plus d’actualité.

Désormais, les progrès scientifiques permettent d’imaginer d’autres manières de faire revivre des espèces disparues. Quelles sont-elles ?

Lionel Cavin / Nadir Alvarez

Depuis quelques années, les scientifiques parviennent à séquencer et annoter les génomes de manière rapide et relativement complète, et donc à savoir à quelle partie du génome correspond telle fonction.

En parallèle, les outils d’ingénierie génétique se développent. En 2020, le prix Nobel de chimie a couronné les chercheuses Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna pour l'invention de la technique des ciseaux génétiques CRISPR-Cas9 en 2012.

Cette dernière permet, en quelque sorte, de copier et coller des gènes. Les scientifiques seraient donc en mesure d’insérer des gènes d’espèces disparues, synthétisés artificiellement, dans le génome d’une espèce actuelle, pour créer une « version hybride », proche de l’espèce disparue. 

Cette année marquera peut-être un tournant dans la « désextinction » avec un projet très concret. L’entreprise privée Colossal, fondée par le paléontologue M. Church, entend en effet modifier le génome existant de l'éléphant d'Asie pour lui faire développer de longs poils et adapter sa physiologie au froid.

On insérerait alors des gènes synthétiques fabriqués en laboratoire dans un embryon d’éléphant. Church le dit lui-même : ce ne sera jamais un vrai mammouth laineux, mais une version revisitée de l’éléphant d’Asie. D’autres enfin se penchent sur la possibilité de cloner complètement un mammouth…

En 2019, une équipe japonaise a annoncé avoir décelé la présence d’éléments biologiquement actifs dans des cellules d’un mammouth mort il y a 28 000 ans, et conservé dans le permafrost de Sibérie.

Cela laisse supposer aux plus optimistes que l’on arrivera un jour à récupérer des cellules encore suffisamment actives pour récupérer un ADN préservé, permettant de cloner ce mammouth, c’est à dire à insérer son génome dans un ovocyte d'éléphante.

Ce serait le même mécanisme que celui à l’oeuvre dans les années 1990 pour la brebis Dolly. D’autres jugent cela impossible : on ne retrouvera jamais dans le permafrost des cellules de mammouths assez actives pour que leur génome soit complet et préservé.

En effet : le clonage n’est-il pas une chimère, quand on voit le destin du bouquetin des Pyrénées ?

Lionel Cavin / Nadir Alvarez

Cette méthode de clonage a en effet déjà été appliquée au début du millénaire pour une sous-espèce de bouquetin espagnol, mais la renaissance s’est faite seulement quelques années après la mort du dernier individu.

(Des cellules vivantes avaient été prélevées dans la dernière représentante de l’espèce) et le cabri ainsi créé n’a vécu qu’une dizaine de minutes.

La manipulation n'était pas optimale puisque le bouquetin a été porté par une chèvre alors que les scientifiques auraient pu utiliser une bouquetine comme mère-porteuse.

Avec cette technique, nous pourrions, plutôt que ressusciter les espèces, tenter de renforcer les effectifs de certaines espèces en danger critique d’extinction.

On ne parlerait alors plus de désextinction, mais d’une sorte de procédure de sauvetage génétique et démographique. 

2000002982373Le Monde Des Dinosaures vous offre un aperçu fascinant de la vie des dinosaures sur Terre, avec électroniquement animés en grandeur nature.

Faire revivre des espèces disparues à partir d’échantillons ?

Lionel Cavin / Nadir Alvarez

Dès qu’un organisme meurt, son ADN se fragmente presque immédiatement sous l’action d’enzymes. Malgré cela, on s’est rendu compte que des segments relativement courts d’ADN pouvaient toujours être séquencé à partir d’échantillons prélevés sur des spécimens conservés dans des collections. 

La première démonstration convaincante a été publiée en 1989 par l’équipe d’un généticien suédois qui a amplifié un fragment d’ADN à partir d’un morceau de peau d’un thylacine taxidermisé, conservé depuis 1869 au Musée zoologique de l’Université de Zurich.

N’y a-t-il pas un risque avec la désextinction d’une espèce ? 

Lionel Cavin / Nadir Alvarez

La désextinction ne doit absolument pas concurrencer la préservation des espèces. Certains biologistes considèrent qu’il vaudrait mieux investir l’argent de la désextinction dans le salaire de rangers, par exemple, pour protéger des espèces menacées des braconniers. 

Mais pour l'instant, les projets de désextinction restent anecdotiques. Et les gens qui ont investi dans l’entreprise Colossal, qui entend faire revivre un mammouth, n'auraient sûrement pas mis cet argent dans le WWF…

Nous sommes des partisans de la sobriété, considérant qu'il vaut mieux protéger l'existant plutôt que d’aller plus loin dans l’innovation. Mais la science valorise le progrès perpétuel. On s'est donc demandé comment combiner ces deux visions. 

Le retour de ces espèces disparues aurait un impact symbolique fort sur les esprits, un peu comme le font actuellement les espèces emblématiques mises en évidence dans les programmes de protection, tels que le grand panda ou le tigre.

Si nous parvenons par exemple à ressusciter le mammouth laineux, le mégalocéros et le rhinocéros laineux, nous devrons leur réserver d’immenses territoires dans les contrées boréales.

Il faudrait mettre en place de vastes zones de ré-ensauvagement pour leur permettre de prospérer. Ce seraient donc des milliers d’espèces à de tels écosystèmes qui verraient leur habitat protégé.

Maîtrise-t-on la réintroduction d'une espèce que l'on ne connaît plus ?

Lionel Cavin / Nadir Alvarez

Il y a 10 000 ans, les animaux sauvages représentaient 97 % de la biomasse des vertébrés terrestres, contre 3 % pour les humains et quelques chiens. 

Aujourd'hui, le rapport est inversé. Les animaux sauvages représentent 3 % des vertébrés terrestres. Les 97 % restants sont la somme des humains et du bétail. 

N'est-on pas déjà arrivé au bout du processus de déséquilibrage des écosystèmes ? 

Lionel Cavin / Nadir Alvarez

Pour nous, la réintroduction d’une ou plusieurs espèces reste anecdotique, comparée aux dégâts de l’extinction de masse en cours.

Comment choisirait-on les espèces à faire revivre ?

Lionel Cavin / Nadir Alvarez

Pour nous, la priorité pourrait être donnée aux espèces qui étaient abondantes et très bien adaptées à leur milieu. 

Nous privilégierions celles dont la fin est la plus immorale ou misérable et pour lesquelles notre culpabilité en tant qu’humains est la plus grande. 

Par exemple : le grand pingouin, l’une des espèces dont l’extinction est liée à une chasse sans limites dans des populations qui comptaient jusqu’à plusieurs millions d’individus. 

Pour la petite histoire, les deux derniers grands pingouins ont été tués pour un collectionneur qui voulait avoir cette espèce dans sa collection, et savait pertinemment qu’il ne restait plus qu’un couple. 

Il a alors mandaté des chasseurs qui ont donc tué le dernier couple, et écrasé le dernier œuf sous leurs bottes.

De même pour le pigeon migrateur. Les populations étaient de l'ordre de 5 milliards en Amérique du Nord ! Certains observateurs racontaient que lorsque des nuées s'envolaient, cela obscurcissait le ciel. 

On reproche parfois aux scientifiques de vouloir jouer à Dieu. Mais il me semble clair que la démesure de l’humain a commencé quand nous avons fait disparaître des espèces présentes sur Terre.

En moins de trois décennies, les populations d’insectes ont probablement chuté de près de 80 % en Europe, surtout à cause de l’utilisation de pesticides et de l’intensification des pratiques agricoles. Qu'en est-il de la désextinction des insectes ?

Lionel Cavin / Nadir Alvarez

Ce n’est pas d’actualité. Si l’on regarde concrètement l’interaction qui existe entre les humains et les insectes, il y a plutôt un projet de se débarrasser de ces espèces. 

Si l'opinion publique est pour sauver les éléphants et les lions, elle est en effet beaucoup moins tranchée en ce qui concerne les insectes, malgré leur rôle vital dans nos écosystèmes. 

En Suisse par exemple, près de 60 %, des citoyens ont voté contre l'interdiction des pesticides à l'échelle du pays lors d'une votation populaire l'année dernière, alors même qu’il existe de nombreux problèmes de santé publique liés à leur utilisation. 

Une récente publication scientifique montre par exemple que le bénéfice sanitaire de manger des fruits et légumes, tous les jours, s'effondre si ceux-ci comportent des résidus de pesticides. 

Néanmoins, peut-être que le regard de la société sur les insectes se modifiera, et que certaines des espèces emblématiques de ce groupe seront un jour au cœur de programmes de désextinction.

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